Histoire vrai ou inventée? 'Le passé et les émotions.'
- Tristan Palomba
- 25 juin
- 3 min de lecture
En cette année 1998, Robert franchit le seuil de la salle de consultation du coach, l'air las. Vingt ans. Vingt ans que le souvenir de sa femme, Élise, le tenait captif, non pas comme un fardeau pesant, mais comme un vide immense qui avait été comblé, un peu trop, par sa seule présence mémorielle. Chaque aube était une douce-amère réminiscence de leur passé, chaque crépuscule une mélancolie persistante. La pièce, vaste et lumineuse, semblait respirer. De grandes baies vitrées donnaient sur un jardin luxuriant, où la faune et la flore s'épanouissaient en silence. Une sensation de calme, presque de sérénité, émanait du lieu, en contraste saisissant avec la tempête qui faisait rage en lui.
Il s'assit dans un fauteuil confortable, face au coach, un homme d'une quarantaine d'années au regard bienveillant. Robert était épuisé par ses propres pensées, par ces flash-back incessants qui survenaient à l'improviste. Une odeur de rose le transportait au cœur de leur jardin, le rire d'un enfant dans la rue résonnait comme la mélodie de la voix d'Élise. Ces moments, autrefois sources de bonheur, étaient devenus des lames à double tranchant, ravivant une peine si intense qu'elle paralysait toute envie d'aller de l'avant. Ses émotions étaient trop vives, trop brutes, l'empêchant de se projeter, de s'autoriser à revivre. Il voulait diminuer cette intensité, non pas oublier Élise, mais simplement retrouver une forme de paix, retirer ces barrières invisibles qu'il avait érigées autour de lui.
« C'est une belle petite journée aujourd'hui, n'est-ce pas ? » commença le coach d'une voix posée, un léger sourire aux lèvres, en désignant le jardin par la fenêtre.
« Comment allez-vous, Monsieur Dubois ? »
Robert prit une profonde inspiration, ses mains serrées sur ses genoux.
« Ça va… comme tous les jours. Cela fait quelque temps que vous me suivez dans mes objectifs à atteindre, et jusque-là... j'ai toujours avancé. Pour être franc, je recherche maintenant une solution concernant le poids que je transporte depuis des années… c'est… c'est ma femme. Élise. Elle est partie il y a vingt ans. Et… je n'arrive pas à avancer. Chaque chose, chaque son, chaque lieu me ramène à elle. Des flashs, des… des images. »
Sa voix se brisa légèrement sur le dernier mot. Il ferma les yeux un instant. Il revoyait Élise, ses cheveux soyeux flottant au vent lors de leur voyage en Toscane. Le soleil caressait son visage alors qu'elle riait, un rire cristallin, léger, qui le remplissait de joie. Le son clair de sa voix alors qu'elle lisait leur poème préféré, un murmure doux et mélodieux. Des moments de pur bonheur, gravés dans sa mémoire, mais qui, aujourd'hui, le transperçaient d'une douleur lancinante.
Le coach écoutait attentivement, sans l'interrompre. Il laissait l'émotion s'exprimer, la pièce emplie du silence respectueux de la compréhension. Robert se sentait fatigué, cette fatigue qui n'est pas physique mais celle de l'âme, une lassitude de combattre sans fin ces vagues de chagrin. Ses objectifs de vie étaient en suspens, comme mis sous cloche le jour de la disparition d'Élise. Il aspirait à les dépoussiérer, à les remettre en mouvement, mais la simple idée de les toucher ranimait une culpabilité sourde.
« Ces images, ces sons, » reprit le coach d'une voix calme, « ils sont si vifs, si intenses, n'est-ce pas ? Comme si elle était là, à chaque instant, dans votre esprit. »
Robert acquiesça, les yeux toujours mi-clos, les images se superposant à la réalité, floutant les contours de la pièce.
« Oui. C'est… c'est une torture douce. Je ne veux pas qu'elle parte, mais je ne peux plus vivre comme ça. C'est comme si j'étais dans une bulle, et chaque fois que j'essaie d'en sortir, ces souvenirs me tirent en arrière. »
Il y avait un mélange de chagrin et d'une étrange résignation dans sa voix, l'habitude d'une douleur devenue presque une compagne. Le coach savait que le travail serait délicat. Il ne s'agissait pas d'effacer, mais de transformer. ''Le brouillage'' serait l'outil pour dissocier l'intensité émotionnelle de ces précieux souvenirs, une technique magnifique qui permet de modifier ce que l'on ressent. Pour faire très simple, imaginez que sur une échelle de 1 à 10, vos émotions soient actuellement à 9 ou 10. Le brouillage vous permettrez de faire baisser cette intensité. La résolution n'était pas l'oubli, mais la capacité de se souvenir sans que la douleur ne paralyse. Le chemin serait long, mais une première étape venait d'être franchie : Robert avait enfin nommé son fardeau, et il était prêt à le déposer.
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