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Histoire vrai ou inventée? 'Craquement et claquement'

Chaque matin, en chemin vers l'université, Théo était envahi par la même angoisse familière. Ce n'était pas le stress des études, mais une terreur sourde et ancienne qui le saisissait au ventre. Un souvenir précis, celui du craquement d'os brisés dans son enfance, une scène qu'il n'arrivait jamais à chasser. Dès qu'un son, même lointain, y ressemblait, la panique montait, le paralysant.

Léa, sa meilleure amie, le voyait bien. Elle retrouvait Théo chaque jour, et observait cette tension dans ses épaules, ce regard qui se perdait parfois. Elle ne connaissait pas les détails de son passé, mais elle savait qu'il portait un lourd fardeau. Sa force à elle, c'était d'être là, présente, une écoute attentive qui ne faiblissait jamais.

Ce matin-là, sous un ciel gris de novembre, Théo et Léa étaient assis sur un banc dans le hall principal de l'université, attendant le début de leur cours. Léa racontait une anecdote amusante sur un de leurs professeurs. Un étudiant passa dans le couloir juste à côté d'eux, s'étira longuement, et un craquement distinct résonna dans son cou. Un son anodin pour la plupart, mais une déflagration pour Théo.

En une fraction de seconde, le monde autour de Théo se figea. Le hall bruyant s'effaça. Le son aigu transperça le fragile bouclier qu'il tentait d'ériger. Ses muscles se tétanisèrent, le souffle coupé, ses yeux s'écarquillèrent, fixant un point invisible. Le souvenir jaillit avec une violence inouïe : la douleur, la confusion, l'image vive de la fragilité. Une peur paralysante le submergea, le clouant sur place. Il ne pouvait plus bouger. Les bruits de la vie universitaire se transformèrent en un lointain bourdonnement, écrasés par l'écho incessant de ce craquement dans sa tête. Il était là, présent, mais absent à la fois, prisonnier de son passé.

Léa, enfin consciente de son silence soudain, se tourna. Son sourire s'évanouit devant le visage blafard de Théo, ses yeux vitreux, le corps tendu comme une corde d'arc. Il tremblait légèrement.

« Théo ? » demanda-t-elle, sa voix douce mais claire, avec une légère inflexion montante à la fin de chaque mot, une mélodie discrète qu'elle utilisait souvent lorsqu'elle voulait capter son attention ou le rassurer.

« Théo, tu es avec moi ? »

Théo ne répondit pas, haletant, pris par l'écho du craquement. Léa maintint son calme. Elle savait que le brusquer ne servirait à rien.

« Écoute ma voix, Théo, » reprit-elle, son timbre maintenant plus profond, posé, avec un rythme lent et régulier, comme un battement de cœur apaisant. Elle inspira profondément, un geste qu'elle faisait toujours pour se centrer.

« Juste le son de ma voix. Qu'est-ce que tu peux entendre en ce moment autour de nous qui est différent ? »

Théo cligna des yeux, un léger mouvement de tête. Le son de sa voix était un fil ténu auquel il pouvait s'accrocher. L'image atroce commençait à se flouter, légèrement. Il pouvait toujours la sentir, mais la voix de Léa perçait la brume.

Léa, observant ce léger signe, continua, sa voix maintenant teintée d'une chaleur réconfortante, légèrement plus forte, avec une intonation rassurante et une cadence constante.

« C'est ça, Théo. Très bien. Respire doucement avec moi. Inspirez… expirez… Tu es en sécurité ici, maintenant. Avec moi. Tu sens la légère brise sur ton visage ? C'est agréable, n'est-ce pas ? Tu entends le bruit des pas des autres étudiants qui passent, là, juste à côté de nous ? Ces conversations douces, ces rires discrets… Et regarde, Théo, tu vois ces feuilles d'automne, là, sur l'arbre, juste à travers la fenêtre du hall ? Elles ont de belles couleurs orangées et rouges, si vives, n'est-ce pas ? Et le bleu du ciel, juste au-dessus, malgré les nuages, il y a toujours une pointe de bleu. Concentre-toi sur ce que tu peux percevoir de doux, de calme, de vivant, autour de nous, ici et maintenant. Ces bruits ambiants qui t'entourent, ces couleurs réconfortantes, cette sensation de l'air frais sur ta peau… Ces sensations qui te disent que tu es en sécurité, que tu es ici, maintenant, avec moi. »

Léa, sans le savoir, était en train d'ancrer des sons et sensations apaisantes qu'ils partageaient souvent lors de leurs balades sur le campus, des moments où Théo se sentait en sécurité.

La voix de Léa se fit un peu plus intense, plus concentrée.

« Et quand tu auras vraiment ressenti tout cela, quand tu auras vu et entendu pleinement tout ce que je viens de te décrire, quand tu sentiras que ce moment de calme et de sécurité s'installe en toi, alors, et seulement à ce moment-là, je t'invite à claquer des doigts. Ce claquement de doigts sera le signal. Tu sentiras alors que tu es plus léger, plus détendu, que tu peux lâcher prise et que tu as repris le contrôle de tes sensations. »

Un instant passa, un silence suspendu où seuls les bruits du campus continuaient, mais ils résonnaient différemment aux oreilles de Théo. Il inspira profondément, un souffle qui partait du ventre. Ses épaules se relâchèrent. Il sentit le soleil, malgré les nuages, sur son visage. Il entendit le rire d'un étudiant au loin et le bruissement des feuilles sous ses pieds. L'image des couleurs chaudes de l'automne envahit son esprit, éclipsant les ombres. Et au moment où une sensation de légèreté et de clarté le submergea, où la tension quitta son corps comme un voile, Théo claqua des doigts. Un claquement sec, mais porteur d'une nouvelle détermination.

Petit à petit, la respiration de Théo s'apaisa. L'écho du craquement recula, se transformant en un lointain murmure à peine perceptible. Les couleurs du hall de l'université devinrent plus vives, le bruit ambiant des étudiants commença à réintégrer sa perception. Les images terrifiantes reculèrent, leur intensité diminuant comme une flamme privée d'oxygène. La poigne autour de ses mains se relâcha. La peur paralysante se transforma en une simple tension résiduelle, puis en un vague souvenir de malaise.

Il tourna son regard vers Léa. Elle était toujours là, son regard doux et patient, sa voix calme. La colère n'avait plus de prise, la peur s'estompa en un vague écho. Une immense vague de soulagement déferla sur lui, suivie d'une profonde détente dans tout son corps. Il sentit ses muscles se relâcher, ses épaules s'abaisser. La différence de ressenti était frappante, comme si un poids immense venait de s'envoler. Le souvenir était là, oui, l'événement existait, mais son impact émotionnel avait chuté de manière drastique. La paralysie avait disparu. Il pouvait respirer.

« Merci, Léa, » dit-il d'une voix rauque, mais claire. « Je… j'ai besoin de me fixer un objectif avec ça. Je veux que ça change. »

Elle lui sourit, son visage reflétant un mélange de soulagement et de compréhension.

« Pas de quoi, Théo. Vraiment. On est une équipe, tu sais. Et puis, qu'est-ce qui te motiverait le plus à atteindre cet objectif, là, tout de suite ? Ma grand-mère pourrait t'aider, elle connaît toutes sortes de choses pour les objectifs.»

Sa voix gardait cette légère intonation montante et cette profondeur réconfortante, comme une promesse renouvelée de soutien et une invitation à l'action.

Théo acquiesça, un léger sourire esquissé. Le chemin jusqu'au bâtiment des cours se fit dans un silence apaisé. Le craquement d'os était toujours dans son esprit, mais sa puissance était considérablement réduite. L'impact n'était plus le même. Grâce à la présence inébranlable et à l'ancrage vocal inconscient de Léa, la terreur ne l'avait pas submergé. Il savait que le chemin était long, que ces souvenirs lointains ne disparaîtraient pas sans un travail plus profond. Mais pour l'instant, le matin gris semblait un peu plus lumineux, et la simple présence de son amie avait suffi à transformer un moment de pure terreur en un pas, aussi petit soit-il, vers le soulagement et la gestion de son ressenti, lui permettant même de formuler un objectif clair pour l'avenir.

Maintenant, Théo savait. Il avait cette clé en lui, un simple claquement de doigts. Dès qu'il sentirait la panique monter, dès qu'un écho de ce craquement d'os viendrait le hanter, il n'aurait qu'à faire ce geste. Et instantanément, le poids, la tension se dissiperaient, le laissant plus léger, plus serein, prêt à lâcher prise et à reprendre le contrôle de ses sensations. Un petit geste, une grande liberté retrouvée. L'université l'attendait, et désormais, il avait un nouvel outil pour naviguer ses matins.

 
 
 

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